Transat Cap Vert / Guadeloupe
D'un bord à l'autre de l'Atlantique / novembre 2024
Le 19 novembre, après quelque péripéties et un court séjour à l’hôpital de Fogo pour Arthur, deux jours sans sommeil pour moi et un demi-tour pour Loargann et son équipage, c’est à dire les deux susnommés, le potentiel est de nouveau au rendez vous pour un départ vers la Martinique, notre destination initiale, après une bonne nuit réparatrice.
Rendons hommage à cette occasion au Centre de Consultations Médicales Maritimes (CCMM) basé à Toulouse pour son efficacité et la qualité de ses conseils :
En 15 minutes de conversation, un rapide diagnostic par téléphone nous convainc de faire demi-tour vers l’ile de Fogo et son hôpital.
Par l’intermédiaire du CROSS Gris Nez, centre de secours pour les marins français hors Métropole, ils vont même prévenir les gardes côtes et diligenter une ambulance.
Heureusement, je connaissais le port de Fogo (voir article Escales au Cap Vert), et l’arrivée de nuit ne pose pas de problème.
Le temps de mettre l’annexe à l’eau et de rejoindre le bord, l’ambulance était là.
Bravo !!
Et aussi quel soulagement …
Après huit heures d’examens et l’avis de médecins en France, feu vert pour traverser !
Cap quasi direct plein ouest sur la Martinique.
Le vent est au rendez-vous dès la sortie du port de Fogo et le logiciel de navigation nous promet une traversée en 10 à 11 jours si la moyenne de 9 nœuds, atteinte confortablement sous grand voile et génois dans 15 à 20 nœuds de vent de travers, se maintient.
La dernière terre en vue, l’ile de Brava, finit par s’évanouir dans le sillage avec la fin du jour.
Ça y est, c’est parti !
Une petite baisse du vent juste avant la nuit nous incite à mettre le gennaker pour maintenir la moyenne minimum que nous nous sommes ambitieusement fixé à 8 nœuds.
Au matin du vingt novembre le vent vient de plus en plus de l’arrière et faiblit encore, ce qui motive l’emploi du spi symétrique qui va nous pousser sans stress toute la journée droit vers la Martinique à notre vitesse de croisière objective.
Un bon 15 nœuds nous pousse allégrement mais régulièrement, la mer est peu agitée … On va garder le « petit » spi pour la nuit …
Ce soir, poisson et épinards et un petit dessert roboratif à la crème de marrons au menu…
Le quart de nuit s’annonce digestif !
Un cargo, mais surtout un voilier viennent le 21 rompre la presque routine .
Le cargo présente peu d’intérêt, par contre le voilier se révèle être, comme nous l’indique internet, un gros catamaran luxueux de 22 mètres enregistré aux iles Caïman, paradis fiscal et « pavillon de complaisance » bien connu.
Évidemment la motivation de le ridiculiser électrise aussitôt l’équipage et la course s’engage, nos routes étant quasiment parallèles, celui-ci ayant viré juste devant nous.
Ajustement du cap, réglage du spi en finesse, élimination des sargasses qui s’accumulent sur nos appendices et surtout vent qui forcit nous propulsent aux alentours de 9 nœuds dans les surfs.
Longtemps le match reste indécis mais au milieu de la nuit la cause est entendue : Loargann est passé devant !
Avant le lever du soleil nous perdrons sa trace sur le radar…
Nous ne sommes pas peu fiers de l’opération même si la cavalcade devient un peu scabreuse avec la houle qui enfle et pousse notre proue d’un bord à l’autre de manière de plus en plus désagréable…
Le 22 novembre, spi toujours déployé, Loargann bondit de vague en vague.
Pointe à Pitre en Guadeloupe présente l’opportunité d’approvisionnement de matériels, au prix acceptable de quelques milles de plus.
Il est devenu nécessaire de renouveler les batteries qui approchent de leur fin de vie.
Hop, un léger changement de cap et la nouvelle destination est face à l’étrave.
Le 23, le sort va nous faire regretter la routine : première alerte au petit jour, le niveau de charge des batteries a anormalement baissé.
L’hydrogénérateur est bien en place mais il s’est englué dans un paquet de sargasses.
Malgré la fatigue, une solution rapide semble à notre portée : relever un instant le dispositif constitué d’une hélice qui entraine un générateur.
Stupeur, les pales de l’hélice ont quitté le bord sans prévenir !
Nous voila privés d’une source de courant, de l’abondance on va passer à la pénurie, je n’ai pas embarqué d’hélice de rechange, grave imprévoyance.
Bon, le congélateur a été vidé et arrêté avant la transat, on va juste être restreints dans l’usage du radar et d’internet, au pire un petit coup de moteur chargera les batteries si le soleil peine à illuminer les panneaux solaires.
Petite contrariété mais pas de quoi ralentir notre course, nous surfons même par moments à 11 nœuds !
La brise va rester soutenue mais la mer reste peu agitée et bien orientée sur notre poupe…
Certes nous ne sommes plus en mode croisière peinard mais en croisière « rapide », rien d’inconfortable.
En milieu d’après midi Arthur remarque des morceaux de tissus qui pendent du spi !
Sa bordure frottait sur l’étai, une erreur de réglage que j’aurais dû corriger .
Mais il y a déjà une couture qui a lâché sur 50 centimètres et procrastiner conduirait à un éclatement catastrophique à court terme.
La perspective d’affaler le spi ne nous réjouit guère, on est pressé d’arriver.
Alors, bien assurés par nos harnais, munis de bandes adhésives, on entreprend de colmater la balafre, dressés à l’avant comme des figures de proue …en moins féminin, les quelques jours de mer depuis le Cap Vert nous ont rendus un brin hirsutes !
Comme l’opération est une réussite technique à défaut d’esthétique on persiste à surfer au-dessus de 9 nœuds et on se met à rêver de pain frais pour le 30 novembre …
Le vent reste inférieur à 20 nœuds, les prévisions météorologiques sont favorables alors l’impatience nous encourage un peu imprudemment à conserver le spi malgré la nuit qui tombe.
Cela fait déjà quatre jours et nuits que le spi est en tête, le petit excès de confiance va être de courte durée.
Alors que j’engrange une dernière sieste avant mon quart, Arthur, alerté par le « chant » anormal du « barber hauler », une manœuvre qui retient les écoutes de spi, me réveille, il n’arrive plus à contrôler la position horizontale du tangon !
La nuit noire nous masque l’anomalie.
Dans le faisceau des lampes, force est de constater que le tangon a une position anormale, dressé vers le haut :
le hale-bas qui comme son nom l’indique tire le tangon vers le bas s’est rompu.
Le spi n’a qu’une idée, s’envoyer en l’air !
Seul le barber hauler limite encore son tropisme vertical et l’énorme tension qu’il subit le fait vibrer comme la corde d’une guitare.
Son « chant » est lugubre !
Harnachés, nous voilà au pied du mât, et aussi « du mur » pour affaler le spi.
La tension monte mais le spi, lui, descend et finit, à regret, par rejoindre son sac après un bon quart d’heure de suspense.
On réparera cela plus tard, d’autant plus que la drisse elle aussi a ragué et que sa gaine nécessite quelques travaux de couture…
Dans la bataille ma montre et un accessoire d’accastillage ont eux aussi décidé de quitter le bord !
Le bilan matériel de la journée est assez déplorable mais ce qui nous chagrine le plus c’est que sans spi, sous génois, l’arrivée en Guadeloupe est retardée de presque deux jours.
Le moral n’a cependant pas le temps de baisser pavillon.
En fin de nuit le vent forcit, la mer grossit …
« Un mal pour un bien » nous a fait rentrer le spi qu’il aurait sans doute fallu affaler dans les rafales …
Le 24 la mer et grosse, les rafales jusqu’à 25 nœuds, l’occasion de récupérer en restant calmement sous grand voile et génois, de faire un peu de ménage à bord, une petite lessive, de causer avec le cargo qui nous croise …
Cool , mode croisière, malgré des embardées assez violentes dans les surfs.
Mais évidemment, on ne se refait pas :
on a envie » de remettre du charbon dans la machine ».
Malgré une très bonne moyenne encore autour des 8 nœuds, on échafaude pour la suite une route sous gennaker !
On passe la moitié de l’Atlantique demain, on s’impatiente !
Au matin du 25 novembre, le gennaker monte en tête de mât, hissé hardiment par l’équipier tout aussi impatient que le capitaine !
C’est un peu le shaker à l’intérieur du bateau mais la progression reprend un bon rythme dans une atmosphère plus relax que sous spi.
Dans la nuit du 26 le vent tombe à 10 nœuds et notre moyenne à 7.
C’est honorable mais pas au niveau de nos ambitions .
La drisse de spi est réparée, le spi asymétrique ne nécessite pas de tangon et deux jours d’opportunité météo semblent se dégager avant une arrivée plus musclée aux Antilles sous gennaker…
Une légère accalmie est donc mise à profit pour gréer le grand spi, et la cavalcade commence :
de longs surfs sauvages hissent la moyenne entre 9 et 10 nds.
Le pilote automatique est quand même un peu à la peine, il faudra être vigilant cette nuit pendant le quart.
Depuis quelques temps l’anémomètre perd la tête par moment, ce qui déstabilise complètement le calcul de l’angle du vent réel sur lequel nous avons calé la consigne du pilote.
Brutalement l’alarme retentit et le temps qu’Arthur saute sur la barre, le bateau empanne !
Ce genre d’aventure peut coûter un mât !
Mais comme la réaction a été rapide, nous sommes encore dans le surf, donc avec un vent relatif très modéré et nous sommes restés près du vent arrière.
Un coup de barre vigoureux ramène le bateau sur sa trajectoire, la grand voile empanne gentiment sur la bonne amure, le spi se regonfle et c’est reparti du bon pied.
Ouf !!
Cette nuit, le quart sera en veille active.
Profitons en pour observer les étoiles.
Par cette nuit sans lune, l’inflorescence stellaire que l’obscurité révèle inspire un sentiment d’infini et de liberté.
« Cette obscure clarté qui tombe des étoiles » (le Cid / Corneille) nous rappelle notre condition insignifiante face à l’univers.
L’humilité n’est-elle pas la clé de la sagesse ?
Il faut quand même avouer que garder le spi cette nuit avec cette mer agitée et le vent soutenu n’est pas un signe flagrant que cette sagesse baigne nos cervelets !
Lâchons tout de même un peu prise avec Aragon et cédons au charme profond de la » nuit immense et noire aux déchirures blondes ».
Fasciné par la cosmologie mais pas du tout par l’astrologie, ma paréidolie se limite à repérer la « casserole » et la grande Ourse !
Un empannage aux premières lueurs de l’aube du 27 et c’est reparti sur une mer plus calme qui autorise de longues glissades dans une brise solide qui vient flirter à présent avec la limite des 20nds de vent pour le spi asymétrique.
La prudence finit tout de même par gagner nos cortex, il est temps de mettre un terme à l’euphorie, ici vénéneuse, du surf.
Le spi fait donc place au gennaker, juste avant la nuit, je vais avoir un quart plus détendu !
La « zénitude » vaut bien le sacrifice d’un bon nœud de vitesse, de toute façon on arrivait trop tôt, je n’avais réservé la place à la Marina que le 2 décembre .
Autre argument en faveur de la sagesse, la météo annonce un renforcement du vent et de la mer jusqu’à l’arrivée.
Et en effet, tôt dans la nuit du 28 le vent monte d’un cran et la mer enfle.
L’affalage du spi aurait été nécessaire et certainement pas vraiment anodin !
L’aube du 29 se lève sur un équipage fourbu.
On a gardé le gennaker mais c’était vraiment limite dans un vent dépassant régulièrement les 25 nœuds.
Envolés la zénitude et le sommeil engrangé. Quelques cumulonimbus congestionnés apparaissent dans la journée, et le peu de sens marin qu’il nous reste nous encourage à réduire la voilure et à revenir au génois.
Le grain qui nous tombe dessus, premier déluge depuis 1 mois, achève de nous convaincre et douche nos têtes brulées comme notre couenne au sens propre comme au figuré.
La nuit, sous les grains diluviens, le vent dépasse allègrement les trente nœuds, et le génois va échapper de peu, lui aussi, à la relégation pour plus petit.
Mais finalement la trinquette restera enroulée et toutes voiles dehors Loargann file vers les plages Guadeloupéennes.
Arthur bosse la cuisine créole, on en a l’eau à la bouche alors que nos vivres fraiches s’épuisent.
Un argument supplémentaire pour pousser la machine qui surfe à plus de 10 nœuds sous les grains.
On va bientôt longer la Désirade, la bien nommée !
Au matin du 30 , on ne peut s’empêcher de dérouler de nouveau le gennaker, mais l’expérience m’a maintes fois montré que c’est en fin de parcours, un peu fatigué, que l’on se fait surprendre avec une bonne déculottée à la clé.
Les cumulonimbus joufflus sont de retour et sous leurs jupons interlopes on voit descendre des cataractes.
Ils ont beau nous faire le coup de la séduction à grands renforts d’arcs en ciel, tel Ulysse et les sirènes, on reste à distance prudente et on remet le génois.
« Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Il y a aussi : » ce n’est pas à un vieux singe que l’on apprend à faire la grimace ».
C’est moins flatteur mais après plus de dix jours de mer, malgré la douche quotidienne (ce bateau est un pullman !), je tends à la vérité plus vers le simiesque que vers le sirénien !
Trois heures plus tard la trace de « Big Picture », le catamaran honni, apparait à moins de 40 Milles derrière nous !
Et il nous rattrape dans ce vent qui finalement s’essouffle.
Le temps d’une analyse météo approfondie, le gennaker est de nouveau en place et la lutte reprend.
Chassez le naturel …
A l’empannage, au milieu de la nuit, Loargann a repris l’avantage …
Il ne nous rattrapera plus et finit par jeter l’éponge et pointer vers la Martinique.
1 décembre, quelques grains tropicaux font monter l’adrénaline, la mer et le vent.
Deux ou trois fois il faut prendre la barre dans les rafales pour garder Loargann en ligne dans des surfs d’anthologie.
La barre reste douce et précise, c’est un plaisir de placer l’étrave dans le creux de la vague. 8, 9, 10, 11 nœuds !
On frôle les 12 sans trop d’effort.
Ce bateau est impressionnant !
Les pluies diluviennes viennent rincer le bateau et les bonshommes mais le magnétisme de l’escale prometteuse pousse un peu à l’irresponsable euphorie.
Une ultime once de raison nous pousse à enrouler le gennaker dans une brève accalmie à 20 noeuds et avant Marie-Galante et l’arrivée.
Encore quelques manœuvres dans le chenal et nous voila à quai.
De la houle, seul reste le « mal de terre » qui nous fait un peu tituber, même sans ti punch, doudou !
Départ de Fogo/cap vert à 10 heures locales le 19 novembre, arrivée à Pointe à Pitre le 2 décembre à 2 heures locales soit 2100 milles en ligne droite avec une moyenne de 7 nds et 2400 milles en réalité avec des bords de largues sur la moitié du parcours soit 8 nœuds de moyenne. Notre challenge.
Mission accomplie !
Fogo
départ
Fogo puis Brava vont disparaitre dans le sillage , la transat est vraiment partie après un faux départ !
C'est parti
Rythme soutenu mais dans la bonne humeur
Ce n’est pas la galère ! Bien sûr, au départ, on est quand même plus frais ! Enfin, Arthur sort de l’hôpital et moi je n’ai pas beaucoup dormi…
Spi
symetrique
Le spi symétrique qui permet de couvrir le plein vent arrière. A partir de la moitié du parcours il va nous manquer après la rupture du hale bas et la déchirure . Il faudra faire des bords de largue pour porter correctement le gennaker ou le spi asymétrique.
Banette de veille
Dans le cockpit
La déco est formée de multiples pavois.
Bien étranges pays dont les fanions ont des formes de slips ou de t-shirts.
Quant aux formes de chaussettes, je n’en ai pas trouvé trace dans mon almanach.
La moitié passée,
on fête ça
Une bonne gigue irlandaise endiablée, sono à fond, 4000 mètres au dessus du rift qui sépare les continents.
Spi asymetrique
20 Noeuds de vent
ça pousse fort !
A donf
Un grain sous gennaker
30 noeuds dans les rafales, une mer grosse : il vaut mieux reprendre la barre au pilote automatique qui fait un peu « savonner » de droite et de gauche l’étrave de Loargann.
Arrivés !
Croissants baguettes à Pointe à Pitre
On en avait vraiment envie.
Du coup on n’a dormi que 3 heures pour se ruer dans la boulangerie à l’ouverture matinale !
MOULINIER
12 décembre 2024 à 21h34
Bravo pour cette nouvelle page d'aventure partagée, profitez bien des Antilles! Ici C Brest mais ça caille! Hervé
Captain Fredo
13 décembre 2024 à 3h23
Salut Hervé . cette nuit nous sommes à Saint Barth après quelques escales dans les iles entre la Guadeloupe et Saint Barthelemy . On a du mal à s'imaginer Noel et la froidure malgré une petite guirlande lumineuse ;-) . Après une journée de navigation à partir de Saint Kitts on s'est offert un petit plongeon réparateur dans une eau à 28° . Etrange sentiment en évoquant le temps brestois .... A+ pour de nouvelles aventures sur loargann.fr et les mers du globe !